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30 mars 2014 7 30 /03 /mars /2014 13:51

Une militante RESF témoigne de sa visite au centre de rétention de Metz à un jeune homme, victime expiatoire des accords de réadmission européens (dits « Dublin III ») des demandeurs d’asile, après une violente tentative d’expulsion…

source : Charlie Hebdo

Jeudi 27 février, visite à un jeune Kosovar « Dublin III » Hongrie.

Gary (prénom d'emprunt), 23 ans, ne peut demander l’asile en France puisqu’il est passé par la frontière serbo-hongroise avant d’arriver ici et qu’on l’accuse d’avoir déposé une demande d’asile chez les Magyars. Il est enfermé au centre de rétention administrative (CRA) de Metz depuis le 12 février. Il y a été transféré après avoir refusé d’embarquer la veille depuis l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Son placement en rétention a été confirmé par le juge des libertés et de la détention le 17 février pour vingt jours. Au cours de ce délai, mais avant le 12 mars, date échéance des six mois après lesquels ce renvoi ne serait plus légalement possible, et selon une décision du préfet du Doubs, contestée en vain devant le tribunal administratif, Gary, terrifié à l’idée de revivre là-bas ce qu’il a déjà subi, peut et risque d’être renvoyé en Hongrie.

Mercredi 26 février, donc, aux petites heures, la police aux frontières (PAF) le transfère vers l’aéroport de Roissy pour l’embarquer vers Budapest. Il tente de m’appeler vers 9 h 45, depuis les locaux de la police de l’aéroport. Je l’aurai plusieurs fois au téléphone jusqu’à 11 heures ; il répète qu’il ne veut pas partir. La PAF lui a dit que s’il n’acceptait pas de grimper dans l’avion de son plein gré, il serait mis dans un vol le lendemain, menotté, scotché et bâillonné. Il continue à refuser. À ce moment, je perds son contact: son portable bascule systématiquement sur messagerie. J’ai peur qu’il ait été embarqué de force dans l’avion.

Je ne retrouve son contact qu’à 18 heures: Gary est de retour au CRA de Metz et me raconte ce qui s’est passé.

Après l’avoir laissé seul dans une pièce des locaux de la police de Roissy, la PAF est revenue, l’a menotté dans le dos et lui a sanglé les jambes. Gary est alors soulevé par les bras et chargé dans un fauteuil dans lequel on le pousse vers une voiture. Les menottes lui font mal, il ne peut bouger ni bras ni jambes. Il se frappe alors violemment la tête contre la poignée située au-dessus de la vitre de la portière. Arrivé près de l’avion, il est descendu de la voiture de police, réinstallé dans le fauteuil, qu’on pousse vers l’escalier d’embarquement. Il a le temps de voir que l’avion appartient à une compagnie française et que des passagers débarquent de l’avion par l’autre porte.

Le pilote est au-dessus de l’escalier. Gary, lui, est au pied, assis dans le fauteuil roulant. Il se frappe à nouveau violemment la tête contre le bord métallique de l’escalier, se fait très mal et sombre dans une forme d’inconscience. Il ne peut plus parler, il a la mâchoire comme paralysée. Il peut tout juste essayer d’articuler « problème, problème »… On le ramène à la voiture et on lui enfile alors une sorte de casque rembourré aux tempes et un masque, pour éviter qu’il se fracasse la tête une nouvelle fois. Il est toujours menotté dans le dos et le restera jusqu’à l’arrivée à Metz (six heures au total). Ses mains sont enflées et le font terriblement souffrir, et les flics trouvent très drôle d’imiter sa plainte quasi inaudible :« problème, problème » ! Il n’a pas vu de médecin, alors qu’il a de violents maux de tête, et même le soir, au CRA, alors que nous l’avons demandé par téléphone, la police du service de nuit n’intervient pas auprès de lui. Il ne voit le médecin du CRA que vendredi 28 février, soit le surlendemain, et celui-ci (qui ne vient que deux jours par semaine) refuse que Gary lui parle de ses problèmes et fasse appel à nous pour traduire. Il lui donne royalement un demi-comprimé d’il ne sait pas quoi, rien de plus (sans doute craint-on qu’il passe à l’acte suicidaire, et il vaut donc mieux qu’il souffre mille maux sans médicament pour les atténuer !).
Lorsque je l’ai rencontré, jeudi 27 février, la visite n’a duré qu’une demi-heure (c’est la loi), dans une pièce vide — juste quatre chaises fixées à une table métallique — avec trois flics derrière la porte, en observation. Auparavant, j’ai dû franchir une barrière extérieure au CRA (où mes papiers ont été contrôlés), puis longer à pied pendant 400 mètres le mur d’enceinte et ses miradors, avant de passer une grille verrouillée, de descendre un escalier et d’entrer dans un bâtiment, sous escorte policière qui m’a fouillée et pris mon téléphone, mes clés, mon sac, mon porte-monnaie… Gary était comme à son habitude, souriant et calme, heureux de ma visite et des témoignages d’amitié que je lui apportais de la part de toutes et tous. Je lui avais apporté du chocolat et des biscuits, car seule la nourriture emballée est autorisée. Son visage était rouge, en particulier son front, mais ne portait pas de traces noires de coups. Ses mains avaient désenflé. Il a répondu à toutes mes questions et m’a raconté en détail le cauchemar du mardi précédent…

Les gens du CRA ne lui ont rien dit sur ce qui l’attend… Nous craignons évidemment avec lui qu’une nouvelle tentative d’expulsion ait lieu cette semaine : Gary sait que la police utilise parfois la piqûre pour neutraliser les récalcitrants, et il sait aussi qu’elle a vu de quoi il était capable pour résister à l’expulsion. La décision est maintenant, et toujours, entre les mains du préfet du Doubs.

Quant à la décision du tribunal administratif de Besançon, validant les arrêtés du préfet (remise aux autorités hongroises, assignation à résidence), elle a été contestée devant la cour d’appel de Nancy, mais cet appel n’est bien évidemment pas suspensif. Gary a besoin de voir un psychiatre qui accepte de le recevoir en consultation et puisse diagnostiquer les troubles dont il souffre. À Besançon, il avait commencé cette démarche, mais elle a été brutalement interrompue par son arrestation et son enfermement en CRA.

Au Kosovo, il a été persécuté en tant que fils d’un homme accusé de collaboration avec les Serbes, et, lors de son passage par la Hongrie (où il n’a jamais eu l’intention de demander l’asile et où il n’a signé des papiers en langue hongroise que sous la menace de la prison), il a subi des mauvais traitements et a même été retrouvé par ses bourreaux kosovars…

vendredi 14 mars 2014.

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